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Circulation et enchantements dans le Montana

de Richard Brautigan


Qui dans la vie n’a pas eu dans ces moments où, tout d’un coup, l’on ne sait plus ce qu’il faut faire ? en voici un : un jour, un de mes amis et moi-même étions à descendre la grand-rue d’une petite ville du Montana en voiture. C’était la fin d’une nuageuse après-midi d’automne. Nous étions arrivés à un feu, il était vert. C’était d’ailleurs le seul feu de la ville : un aurait dit le berger d’un croisement qui dort.

Au feu, mon ami avait dans l’idée de tourner à droite mais il hésita ; sans raison apparente sauf que soudain il lui était arrivé de ne plus savoir que faire.

Côté conduire, mon ami a de l’expérience : la chose n’avait rien à voir avec ses qualités de chauffeur. Non, il lui était tout soudain arrivé de ne plus savoir que faire : je restai là à l’observer avec grand intérêt, me demandai à quoi tout cela allait aboutir.

Le feu était vert et nous, nous ne passions pas et derrière nous déjà toute une file de voitures s’entassaient. Je n’ai aucune idée de l’endroit d’où elle venaient : la ville est si petite – il n’empêche : elles étaient bien là, derrière nous. Pour Dieu sait quelle étrange raison, personne ne râlait : pas le moindre petit coup de klaxon et nous, toujours nous bloquions le passage.

Toujours étions la première d’une longue file d’autos qui, sans raison, s’étaient arrêtées à un feu vert. Peut-être tout le monde avait-il oublié ce qu’il convient de faire en pareil cas.
Oui, tous nous étions là, sous le charme nuageux d’un crépuscule qui approche, là assis dans nos voitures, les uns écoutant patiemment la radio, les autres impatients de rentrer chez eux, de là retrouver les chers aimés ou alors d’aller tout seul quelque part et d’y faire quelque chose qui ne regarde personne sauf que rien de tout cela ne se produisait. Que nous étions tous parfaitement immobiles.

Je ne saurais dire combien de temps tout cela dura.
Trente secondes, c’est bien possible mais il aurait pu se faire qu’en son cercle une année il nous ait pris pour ainsi nous en aller et tout à coup nous retrouver au même endroit.

Comme s’il y avait eu moyen de savoir !

Nous étions tous sans défense.

Plus personne ne savait ce qu’il fallait faire.

Jusqu’au moment où dans la voiture qui nous suivait immédiatement, quelqu’un trouva la solution du problème. Et ce fut une solution si simple que je me demande encore comment personne n’en n’avait eu l’idée. Tout en fut changé et nous, nous effectuâmes notre virage à droite cependant que le reste des véhicules continuait son chemin, chacun se trouvant dans l’obligation de poursuivre jusqu’à accomplissement du trajet prévu.

Non, personne n’avait plus su que faire jusqu’au moment où le mec derrière nous, tout soudain avait abaissé sa vitre, et hurlé à tue-tête :

- ALORS, T’AVANCES, EH ! FILS DE PUTE !

Alors l’affaire avait été close.


Éditions Christian Bourgois, traduction Robert Pépin